psychotrope, attention danger

Psychotropes : Attention danger !

Une enquête sur les dessous de l’industrie pharmaceutique

Cet article est issu du journal Ethique & Liberté n° XX édité le YY.  Le contenu de cet article reste plus que jamais d’actualité.

Selon le rapport remis par les professeurs Debré et Even au président de la République, 50 % des médicaments aujourd’hui sur le marché sont inutiles et 12 % sont potentiellement dangereux. Classés médicaments à risque, près d’une centaine de psychotropes viennent d’être mis sous surveillance renforcée. Cela suffira-t-il à freiner les dérives d’un lobby apparemment plus soucieux de générer des milliards de bénéfices annuels que de déontologie médicale ?

Les médicaments doivent démontrer leur efficacité avant d’être autorisés, puis de faire l’objet d’un suivi par les autorités sanitaires. Mais le rapport remis  au président de la République et au ministre de la Santé par les professeurs P. Even et B. Debré dénonce un système qui a permis une accumulation de 4.500 médicaments sur le marché (sans compter les génériques), « souvent sans autre logique que celle du profit ». Face aux géants pharmaceutiques, le système français se révèle incapable d’assurer un véritable contrôle, comme l’a montré le scandale du Mediator.

Rappelons les faits : en 1976, les laboratoires Servier lancent un antidiabétique, le Mediator, qui est également un anorexigène (coupe- faim) dérivé des amphétamines. Mais Servier a pris soin de ne jamais mentionner que le Mediator était un coupe-faim amphétaminique, ce qui lui a permis de rester sur le marché, alors que tous les autres médicaments de cette classe ont été interdits en 1997.

Il faudra attendre novembre 2009 pour qu’il soit enfin retiré du marché, devant l’accumulation de cas de patients dont les graves problèmes cardiaques sont liés à la prise de Mediator, et grâce à l’obstination du Dr Frachon, pneumologue au CHU de Brest. Aujourd’hui, les plaintes s’accumulent, car le Mediator aurait fait entre 500 et 2 000 victimes.

Les antidépresseurs sous surveillance

C’est l’AFSSAPS (1) employant un millier de personnes, qui est chargée depuis 1998 d’évaluer les bénéfices et les risques de l’ensemble des produits de santé : les médicaments, mais aussi les dispositifs médicaux (stimulateurs cardiaques, par exemple) ou les produits biologiques d’origine humaine : produits sanguins, tissus, organes, etc.

Dominique Maraninchi, Directeur général de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), avoue : « Nous n’avons été ni assez rapides ni assez vigilants. Le principe actif du Mediator aurait dû être réévalué bien plus tôt : il s’agit d’une amphétamine et non d’un antidiabétique. Il ne fallait pas attendre qu’il y ait un risque mortel avéré pour réagir. » (France Soir, 10/5/2011.)
Ayant apparemment tiré les leçons de cette expérience, D. Maraninchi s’engage à réévaluer le rapport bénéfice/risque de 100 à 200 médicaments : « Nous regarderons notamment de près les classes de médicaments à risque comme les antidépresseurs ».
Sous la pression de l’opinion publique, l’AFSSAPS a en effet publié début 2011 une liste de 77 médicaments mis sous haute surveillance, dont les effets secondaires vont être attentivement suivis durant plusieurs semaines.

Une dizaine de psychotropes se trouvent d’ores et déjà sur la liste : Concerta, Ritaline, Cymbalta, Stilnox, Stablon, Valdoxan, Zypadhera, etc. Ces médicaments peuvent entraîner des effets secondaires dangereux, voire mortels. L’antidépresseur Cymbalta est dans le collimateur pour « risque de troubles suicidaires ». Le Stilnox peut entraîner de l’amnésie, de l’agressivité ou de la confusion, le Valdoxan de l’anxiété et des comportements suicidaires. La Ritaline et le Concerta, quant à eux, peuvent être prescrits à des enfants à partir de 6 ans… Pourtant, ils peuvent provoquer convulsions, hallucinations, idées suicidaires, etc.  (Source : dictionnaire Vidal).

On a mis sous antidépresseur le chagrin d’amour, le deuil, la fatigue ou le questionnement sur le sens de la vie. La timidité, la retenue, la crainte de parler en public : toute manifestation de pudeur est désormais recyclée en « syndrome d’anxiété sociale », et ce sont des millions dans les caisses de ses inventeurs.

D’autres drogues psychiatriques nécessitent une vigilance accrue et ont été mises sous surveillance renforcée : la totalité des antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (2), soit 85 produits. Le Prozac et le Zoloft appartiennent à cette catégorie : souvent mis en cause dans des actes de tuerie comme le massacre de Columbine, ils peuvent entraîner hallucinations, anxiété et suicide. Pour toutes ces substances, le « risque mortel » évoqué par Dominique Maraninchi est malheureusement avéré. L’AFSSAPS saura-t-elle réagir à temps ?

L’AFSSAPS en accusation

Dotée d’un budget de fonctionnement de 111,5 millions d’euros en 2010, l’agence a été dès son origine attaquée sur les risques de conflits d’intérêt. En effet, le financement de l’AFSSAPS est constitué pour une large part, près de 80 %, des taxes, droits et redevances versés par l’industrie pharmaceutique, c’est-à-dire par ceux-là même dont elle doit évaluer les dossiers en vue d’accorder ou de refuser la mise sur le marché. « Cette tendance pose surtout le problème de l’indépendance de l’agence à l’égard de l’industrie pharmaceutique », soulignait un rapport de la Commission des Affaires sociales du Sénat publié en 2006.

Ce rapport dénonçait aussi une presse médicale sous l’influence des laboratoires pharmaceutiques. Pour calmer les esprits, le sénateur Nicolas About, lui-même ancien des laboratoires Servier, promit alors d’élaborer un projet de loi sur le sujet. Ce projet de loi ne verra jamais le jour.

L’autre critique adressée à l’AFSSAPS concerne ses experts, accusés d’être trop proches de l’industrie. La quasi-totalité des membres titulaires de la Commission d’autorisation de mise sur le marché des médicaments (28 sur 30), président compris, ont d’ailleurs déclaré en 2009 avoir des liens avec l’industrie pharmaceutique. « En fait, l’AFSSAPS ne fait ni mieux ni moins bien que les autres agences européennes. Certains de ses membres font très bien leur travail, d’autres sont sous l’influence des labos et participent à des délibérations sur des médicaments alors qu’ils devraient en être écartés », affirme Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire. Les professeurs Even et Debré proposent de remplacer ces 3 500 experts « sous influence » par une équipe de 40 spécialistes.

Le rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), publié mi-janvier 2011, était lui aussi accablant pour tout le monde : l’AFSSAPS, les « experts » et les laboratoires, et soulignait les graves défaillances du système de pharmaco-vigilance. Depuis 1995, la question du Mediator a été abordée lors de 20 réunions. Pourtant, pendant dix ans, de 1995 à 2005, la question du retrait de ce médicament n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de la Commission nationale de pharmaco-vigilance. L’IGAS dénonçait un « fonctionnement ahurissant » et concluait : « La chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie, non aux patients et à la santé publique, mais aux firmes. »

Mais la réforme de l’AFSSAPS est en marche. Après le scandale du Médiator, il était temps de changer en profondeur un système d’autorisation de mise sur le marché caractérisé par la collusion des intérêts entre certains experts et des laboratoires pharmaceutiques.

Le projet présenté par le ministre de la Santé, Xavier Bertrand (2005-2007) prévoit plus de transparence de la part des compagnies pharmaceutiques. Celles-ci auront notamment l’obligation de publier les conventions passées avec des laboratoires, des médecins et des experts. Quant aux experts eux-mêmes, ils devront remplir une déclaration publique d’intérêt et notifier leurs différentes activités et rémunérations. Enfin, l’AFSSAPS disparaîtra pour laisser la place à l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament.

Une logique de profit

Dans leur rapport, Philippe Even et Bernard Debré dévoilent que l’industrie pharmaceutique mondiale s’est trouvée confrontée depuis les années 80, après une période de grandes avancées thérapeutiques, à deux facteurs menaçant de réduire fortement ses bénéfices : il fallait 10 à 15 ans pour sortir un nouveau médicament alors que la protection apportée par les brevets n’est que de 20 ans, ce qui laisse peu d’années à l’industrie pour rentabiliser ses découvertes avant que la molécule ne devienne un générique.

Cette industrie s’est donc vue « contrainte, pour survivre, de consacrer toutes ses forces à maximiser ses bénéfices, d’abord en ne s’intéressant avec réalisme, mais sans beaucoup d’éthique, qu’aux seuls grands marchés qui rapportent, ceux des maladies fréquentes et chroniques des pays riches, au détriment des pays pauvres… ».
Les essais cliniques deviennent de plus en plus coûteux car ils portent souvent sur des molécules qui ne sont pas ou guère supérieures aux molécules existantes, et dont on cherche seulement à démontrer la non infériorité par rapport aux traitements précédents. Présentées comme des nouveautés, ces molécules seront mises sur le marché à des coûts bien plus élevés.
Étant donné les sommes engagées, la tentation est forte de biaiser ces essais, de ne pas publier les échecs et de masquer la toxicité, par exemple les suicides ou les meurtres liés aux antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine.

Enfin, l’industrie pharmaceutique consacrait, au détriment de la recherche, plus de 40 % de son chiffre d’affaires au marketing dans la presse, les médias, la télévision, le web, les journaux professionnels, les charters de congrès au soleil, la formation continue, pour laquelle elle affirme avoir « vocation » et qu’elle finance entièrement.
À titre d’exemple, Mikkel Borch Jacobsen a étudié le plan marketing pour l’antidépresseur Lexapro, rendu public par le Sénat américain : le fabricant a investi 115 millions de dollars en frais de promotion, dont 36 millions pour les repas « éducatifs » offerts aux médecins et autant pour les conférences données par les leaders d’opinion.

Créer des maladies pour vendre des médicaments

Deuxième axe pour développer les profits : élargir ses marchés en développant des concepts qui permettent de doubler ou tripler les populations à traiter « et vont même jusqu’à déclarer malade toute la population des plus de 50 ans en inventant de nouvelles pathologies inexistantes » et « en se lançant prioritairement, non dans les traitements curatifs de quelques jours ou semaines, qui ne rapportent guère, mais dans des traitements préventifs, à suivre 10, 20 ou 30 ans, pour des pathologies que 95 % des patients n’auront pas. »

Nulle part ailleurs ce phénomène n’est plus visible que dans le domaine de la santé mentale, où abondent les exemples de « pathologies inexistantes », comme l’agoraphobie sociale ou le TOC de l’enfant, citées par le rapport Debré-Even. Dans son ouvrage « Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions », Christopher Lane, chercheur à l’université Northwestern de Chicago, explique comment les états d’âme ont été transformés en maladie. On a mis sous antidépresseur le chagrin d’amour, le deuil, la fatigue ou le questionnement sur le sens de la vie. La timidité, la retenue, la crainte de parler en public : toute manifestation de pudeur est désormais recyclée en « syndrome d’anxiété sociale », et ce sont des millions dans les caisses de ses inventeurs. Sans oublier les enfants, dont la vitalité est étiquetée « déficit de l’attention ».

On lance une maladie comme on lancerait une marque de jeans, explique Mikkel Borch-Jacobsen, historien de la psychiatrie et sociologue, dans son documentaire Documents à vendre : « Dans le temps, on créait des médicaments pour guérir des maladies. De nos jours, on crée des maladies pour vendre les médicaments. »

Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM IV, qui sera remplacé en 2013 par le DSM V, illustre parfaitement cette situation. À la suite de la découverte des neuroleptiques dans les années 50, le nombre de troubles mentaux répertoriés a explosé, passant de 163 dans le DSM II (en 1968) à 374 dans le DSM IV (en 1994). À l’inverse des pratiques médicales, l’industrie de la psychiatrie n’a aucun test permettant de valider un quelconque trouble mental ou « maladie », qui naissent d’un simple vote, sans base scientifique ni preuve de leur existence. En effet, l’inscription d’une nouvelle maladie dans la bible des troubles psychiatriques se fait au moyen… d’un vote à main levée entre confrères psychiatres.

Le Dr Thomas Szasz, professeur émérite de psychiatrie au Health Science Centre de l’Université de New York, auteur de nombreux ouvrages, explique : « Il n’existe pas d’analyse sanguine ni de test biologique pour affirmer la présence ou l’absence d’une maladie mentale, comme dans le cas de la plupart des maladies physiques. Si on développait un test de ce genre, la condition cesserait d’être une maladie mentale et serait classée comme un symptôme de maladie physique. »

Psychotropes : médicaments ou menaces ?

La Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme (CCDH), créée en 1969 par l’Église de Scientologie pour lutter contre les abus de la psychiatrie, dénonce sans relâche les dangers des psychotropes qui modifient le comportement et sont fréquemment mis en cause lors de crimes violents. « Les faits divers tragiques, comme ceux de Grenoble ou la tuerie de Pouzauges, en Vendée, ont frappé l’opinion publique. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que le tueur était sous l’influence de psychotropes », souligne la présidente de la CCDH. « J’ai rencontré personnellement beaucoup de gens qui ont perdu un fils, une mère, ou même toute leur famille à cause des drogues psychiatriques. C’est pourquoi mettre les gens sous camisole chimique n’est pas une solution, ni pour l’individu, ni pour la société. »

En 2009, 56 000 DVD avaient été envoyés à tous les médecins généralistes français pour les sensibiliser aux dangers des psychotropes. Le documentaire réalisé par la CCDH « Drogues psychiatriques : médicaments ou menaces ? » va, n’en doutons pas, faire parler de lui à son tour et déranger à nouveau le lobby psychiatrique et ses défenseurs, dont certains, curieusement, se retrouvent en première ligne de la lutte contre les médecines douces, les méthodes de relaxation et les nouvelles spiritualités.

Il aura fallu près de deux décennies pour que les effets secondaires des antidépresseurs soient reconnus, à savoir le risque suicidaire important et l’agressivité, et que leur usage soit déconseillé aux mineurs. Encore s’agit-il de précautions bien insuffisantes.

Alors qu’un milliard d’euros sont dépensés chaque année pour la consommation de psychotropes, la CCDH et la communauté scientologue continuent à demander une véritable évaluation des risques et des coûts réels de l’impact de ces drogues légales sur la population.

Lire aussi : France, distribution massive pendant l’Euro

(1)  L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (abrégé ANSM) est un établissement public français ayant pour mission principale d’évaluer les risques sanitaires présentés par les médicaments, et plus généralement tous les produits de santé destinés à l’homme. Elle est aussi l’autorité unique en matière de régulation des recherches biomédicales.

L’Agence a changé plusieurs fois d’intitulé depuis sa création en 1993. Elle est connue comme Agence du médicament jusqu’en 1999, puis sous le nom d’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ou Afssaps) de 1999 à 2012. (source Wikipedia)

(2) Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont une classe médicamenteuse de psychotropes. (source Wikipedia)

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Dans le temps, on créait des médicaments pour guérir des maladies. De nos jours, on crée des maladies pour vendre les médicaments

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