femme indienne

La fin des électrochocs sur les enfants

En Inde, après 30 ans de bataille, la loi sur la santé mentale promulguée le 7 avril 2017 interdit la pratique des électrochocs sur les enfants ainsi que l’usage des électrochocs « non modifiés ». Elle interdit également les cellules d’isolement dans les hôpitaux psychiatriques.

Depuis 1987, la loi sur la santé mentale a fait très peu pour protéger le bien-être des habitants de l’Inde, le second pays le plus peuplé de la planète. Au lieu de cela, elle a créé un système de corruption et a soutenu les abus de pouvoir qui ont conduit à d’importantes violations des droits de l’Homme. D’innombrables enfants des rues, handicapés mentaux, alcooliques et femmes étaient piégés dans des établissements psychiatriques, au sein desquels ils étaient soumis à des « traitements » abusifs et à des conditions de vie sordides.

La loi de 1987 : l’ouverture à tous les abus

La loi de 1987 donnait aux psychiatres des pouvoirs extraordinaires sur leurs patients. Elle donnait aussi le pouvoir aux membres des familles d’estimer que quelqu’un était un malade mental. Argument facilitant la dépossession des biens de la victime.

Médecin montrant la position des électrodes sur la tête pour l’administration d’électrochocs

Les médecins, les laboratoires pharmaceutiques et les gestionnaires des hôpitaux étaient les bénéficiaires de ce système dans lequel les établissements psychiatriques étaient encouragés à garder autant de patients que possible. Ces établissements opéraient comme des prisons pour les résidents les plus vulnérables du pays : de nombreux patients étaient littéralement enchaînés à leur lit, retenus contre leur volonté et soumis à d’épouvantables « thérapies ».

Le mépris complet des droits des patients était aggravé par l’utilisation répandue de la thérapie de choc électroconvulsive (TEC), utilisée depuis 80 ans en Inde. Les psychiatres estimaient que c’était une thérapie normale et un moyen efficace de « réinitialiser le cerveau » des malades mentaux.  Ce traitement était le plus souvent exécuté de façon inhumaine et infligé à titre de punition.

Ces abus ont commencé à être mis en avant après l’horrible tragédie qui s’est produite durant un incendie dans le bourg d’Erwadi de la commune de Tamil Nadu. Le 6 août 2001, 28 patients ont brûlé vifs parce qu’ils étaient enchaînés à leurs lits alors que l’hôpital psychiatrique Moideen Badusha prenait feu. Un changement du système de santé mentale en Inde s’était trop fait attendre.

Le médecin du peuple

Le docteur Khazi Muzaffar-ul-Islam, médecin urgentiste indien, a passé six ans à travailler pour Amnesty International. Quand cette association a dû fermer ses portes en Inde pour des raisons politiques, il a commencé à chercher une autre organisation internationale ayant une mission similaire pour qu’il puisse continuer son travail social. C’est en 2009, en effectuant des recherches sur internet, qu’il fit la découverte de la Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme (CCDH).

En tant que médecin, quand il a été informé et qu’il a vu les abus psychiatriques décrits dans leur documentation, il a voulu s’impliquer. « Il y a beaucoup d’associations des droits de l’Homme, mais il n’y en a qu’une qui affronte les abus psychiatriques. » Ce fut l’un des facteurs qui l’a motivé à démarrer une antenne de la CCDH en Inde. Objectif : lancer une campagne visant à interdire l’usage des électrochocs sur les enfants.

les consignes pour les électrochocs

Informations pratiques affichées pour l’administration des électrochocs

Il avait vu les horreurs des électrochocs durant sa formation de médecin. « Pendant ma formation de médecin à Mumbai, j’ai vu un patient qui avait reçu des électrochocs. Il se battait avec les infirmières et essayait de s’échapper. Il hurlait et pleurait, je pouvais voir qu’il craignait pour sa vie. »

Les enfants des rues sont particulièrement vulnérables aux abus des électrochocs, et des enfants de 4 ans recevaient ce « traitement ». Voici ce qu’en a dit le Dr Khazi : « Après cinq séances d’électrochocs, leur mémoire est effacée et ils peuvent alors être contraints à exercer des activités illégales comme la vente de drogue. »

Les femmes et les filles ayant un handicap intellectuel et psychologique étaient aussi en danger. Les familles qui ne savaient pas comment s’en occuper ou en avaient honte, abandonnaient leurs proches de sexe féminin dans des hôpitaux psychiatriques. Aucun consentement n’était nécessaire.

Avec sa campagne,  le docteur Khazi a fait connaître ces abus et a attiré l’attention sur les dangers des électrochocs. En janvier 2010, le ministère de la Santé a finalement annoncé qu’il prévoyait d’amender la loi de 1987 sur la santé mentale, en incluant une interdiction de pratiquer des électrochocs sur les mineurs.

Élargir le mouvement

En juin 2011, une équipe de la CCDH de Californie s’est rendue dans la ville de Pune, en Inde occidentale, pour rencontrer le Dr Khazi. Quand l’équipe est arrivée, il a pu organiser une visite de l’hôpital psychiatrique de Yerwada, l’un des plus grands hôpitaux psychiatriques d’Asie. Il abrite plus de 1800 patients.

CCDH de France vous informe sur les abus psychiatriques

Ils ont vu les logements et la salle des électrochocs et ont pu filmer les horribles conditions de vie des patients. « C’est parce que je suis médecin de profession qu’ils nous ont permis de filmer dans l’hôpital. Autrement, ils ne nous auraient jamais permis de pénétrer dans les cellules et de prendre des photos des traitements inhumains infligés aux patients. » raconte le docteur Khazi.

Des épileptiques étaient traités avec des électrochocs sans anesthésie ni relaxant musculaire, ce qui est considéré comme des électrochocs « non modifiés ». Les gens étaient attachés à leur lit et vivaient dans des conditions sordides. Une infirmière avec laquelle ils ont parlé leur a confié que les patients qui recevaient des électrochocs étaient inconscients pendant environ 15 minutes par la suite et jusqu’à 60 minutes s’ils avaient reçu plusieurs de ces traitements. Cette visite révélatrice et les preuves visuelles accumulées se sont avérées très précieuses.

L’équipe de la CCDH International a pu aussi rencontrer des personnalités importantes telles que Sadhana Turakhiya, directrice du Comité de l’Ali India contre la corruption, organisme fédéral établi par Indira Gandhi mais aussi des médecins ainsi que des journalistes et d’autres militants qui contribuent à des campagnes contre la corruption.

Alerter les Nations Unies

En mai 2013, une réunion a eu lieu au Bureau national à Washington, avec le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres punitions et traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Après avoir vu les séquences filmées en Inde par la CCDH, Juan Mendez, professeur d’université, spécialiste des textes  de loi relatifs aux droits de l’Homme, a demandé qu’une plainte officielle soit déposée auprès des Nations Unies. Ce comité accepte les plaintes et puis demande aux gouvernements des pays dans lesquels les violations se produisent d’agir et de mener leurs propres investigations.

En novembre 2013, CCDH International a donc déposé une plainte contre l’hôpital psychiatrique de Yerwada, détaillant les abus des traitements par électrochocs. Le rapport formulait spécifiquement que les électrochocs devraient être totalement interdits sur les enfants.

L’Observatoire des droits de l’Homme [Human Rights Watch (HRW)] a déposé un rapport similaire sur les abus commis en Inde. Une équipe de l’Observatoire des droits de l’Homme s’est rendue en Inde et a visité l’hôpital de Yerwada ainsi que d’autres installations. Leur investigation a été détaillée dans un rapport intitulé « Traitées de façon pire que des animaux : Abus contre les femmes et les filles ayant un handicap intellectuel ou psychologique dans les hôpitaux psychiatriques de l’Inde ».

Sept ans après que le ministère de la Santé et du bien-être familial ait présenté la proposition d’amendement de la loi de 1987 sur la santé mentale, et après des années de pression exercées, le projet de loi a finalement fait son chemin jusqu’au Parlement et la loi a été promulguée par le président, le 7 avril 2017.

Une victoire pour le droit des patients

La loi consiste essentiellement à interdire la pratique des électrochocs sur les enfants en Inde ainsi que l’usage des électrochocs non modifiés. La nouvelle loi indique également qu’une personne peut signer une « déclaration d’intention », directive anticipée concernant des traitements psychiatriques forcés. Cela signifie que toute personne a finalement le droit de déterminer un éventuel traitement d’une maladie mentale quelconque et de choisir un représentant parlant en son nom au cas où elle serait considérée comme handicapée mentale à l’avenir.

Cette loi interdit également les cellules d’isolement et la solitude. Les droits des patients sont également protégés grâce à une mesure de transparence leur donnant un accès complet à leurs dossiers médicaux, ainsi qu’aux informations relatives aux procédures médicales et aux plans de traitement recommandés.

Le docteur Khazi et la CCDH ont joué un rôle clé dans le changement des lois de santé mentale en Inde en dénonçant les abus et en déposant une plainte auprès du Comité de l’ONU contre la torture. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire, des milliers d’enfants et d’adultes vont pouvoir retrouver leurs droits et leur dignité et échapper à la brutalité des traitements psychiatriques.

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Citation

Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Article 5
Déclaration universelle des droits de l’homme